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De simples songes - Chapitre 3



Chapitre 3




Le jeune homme n’avait pas menti, ils étaient bien dans cette vieille usine reconvertit. Du haut d’un immeuble, je les observais avec mes jumelles. Le bâtiment disposait de deux entrées : une pour ce qui était autrefois l’accueil et l’autre de service. L’ensemble était grillagé et gardé. Il y avait plus ou moins une dizaine de personnes armées gardant constamment les lieux. Les trois miradors de fortunes disposés autour contenaient un garde à chaque heure du jour et de la nuit. Cependant, la défense était loin d’être optimale, mais n’était pas inefficace pour autant. S’infiltrer était faisable, cependant cela comportait de gros risques. De plus, ceci n’était que le moindre de mes soucis. Non, le véritable problème serait d’évacuer la cinquantaine d’enfants emprisonnés sans me faire repérer. J’avais beau me figurer tout les scénarios possible, imaginer diverses solutions, aucun ne me semblait crédible ou réalisable. Je devais me débarrasser des gardiens. 
Comment réussir cela ? Pour le moment, je n’en avais aucune idée. Il allait falloir que je me montre patiente et que je récolte toujours plus d’informations sur ces soldats. Au vu de leur comportement et de leurs manières, ce n’était probablement pas de vrais professionnels. Je pouvais me servir de cette inexpérience. 

L’attente est quelque chose d’atroce, les journées à observer les allers-retours de ces monstres… Voir des enfants amenés de force dans ce sinistre endroit. Voir l’indifférence des bourreaux devant les pleurs. Voir ces mêmes êtres rire, jouer au foot ou aux cartes… Toutes les nuits, je rêvais de nouvelles méthodes pour les faire payer. Mais ce n’était pas ça le pire, c’était d’être la spectatrice impuissante de l’asservissement des gamins, de ma fille… Ils travaillaient tous les jours dans un vaste champ dégagé derrière l’usine. De l’après-midi au soir, ils remuaient la terre et mettaient en culture différentes pousses. Les réticents étaient battu violemment par les gardes. Les enfants trop faibles ou trop peu performants au champ servaient au ménage ou à la cuisine. Les gardes avaient un rite étrange le matin, ils réunissaient les petits dehors les beaux jours et à l’intérieur les jours de pluie. Ils était tous assis devant un homme accompagné d’un paper-board. Je me suis rendu compte que ce type leur faisait la classe. Je ne m’expliquais pas pourquoi ces ordures s’embarrassaient à instruire ceux qu’ils considéraient comme des esclaves. 
Les pré-adolescents avaient droit à un traitement différent. Ils partaient parfois avec les adultes et devaient suivre une sorte d’entraînement. Apprentissage du combat au corps-à-corps et aux armes à feu. Apprentissage d’une discipline de fer. Régulièrement, un gardien les enfermait dans une boîte exposée au soleil ou les humiliait publiquement. Il était interdit de se plaindre ou de détourner les yeux lors des sévices, sous peine de dégradations supplémentaires. Pendant ce temps, un type clamait avec un mégaphone les vertus du courage et de l’abnégation. 

Une nuit, tard, j'ai vu un des soldats sortir de l'usine. Il était habillé différemment de ce à quoi j'étais habituée : il portait un costume, une cravate et aucune arme. Suivi de quatre gardes, il a pris par la main le plus âgé des gamins qui l’attendait dans la cour. Les autres soldats présents ont fait une haie d’honneur pour le cortège jusqu’à la sortie. Ils hurlaient un nom : « HENRI, HENRI, HENRI… ». L’adolescent, bien que semblant terrifié, bombait le torse avec fierté. Le groupe a marché lentement le long de la rue pendant plusieurs dizaines de minutes. Furtivement, j’espionnais leurs déplacements. Ils sont arrivés dans un ancien musée éclairé à la seule lumière de leurs lampes. J'ai réussi à rentrer sans me faire repérer et ai observé la scène depuis un recoin sombre. C’était un vaste hall et Henri s’était positionné en son centre, accompagné de l’homme. Le reste de la troupe était située sur des passerelles entourant l’immense pièce. Cela a duré pendant près de cinq heures, pendant lesquelles le type injectait je-ne-sais-quoi au gamin, à intervalles réguliers. Puis, un bruit a retenti dans les ténèbres. Celui que je supposais être le chef l'a pris par les épaules et lui a murmuré quelque chose à l’oreille, avant de se placer devant l’unique sortie. 
Le bruit s'est fait de plus en plus fort. Sorte de pas mêlés de petit couinement porcin. Cela semblait venir de loin, de très loin, mais se rapprochant petit à petit. À mesure que le songe approchait, la confiance de l'adolescent diminuait. Ses jambes commençaient à trembler et ont fait de petits pas en arrière. Les hommes ne cessaient de l’encourager et de l’acclamer. Malgré cela, Henri ne semblait pas plus rassuré. Un couinement a retenti, fort, comme s’il n’était qu’à quelques mètres. L’enfant a tenté de prendre la fuite. L’autre l'a retenu puis repoussé vers le hall, faisant fi des supplications. Il hurlait aux adultes de l’aider, mais ces derniers restaient sourds, l’acclamant toujours. Un autre couinement a totalement couvert le brouhaha. Nous nous sommes tous couvert les tympans. Et, dans un relatif silence, le songe est apparu. C’était un homme exagérément obèse de plus de deux mètres. Son visage était caché par une tête de cochon. Une tête qui semblait être celle d’un véritable cochon. Le cauchemar était nu, et agitait un couteau de boucher. Mais ce n’était pas le plus perturbant. Il était coupé en deux verticalement. Les parties reliées entre elles par ses tripes ainsi que ses viscères tendues et dégoulinantes de graisse. Je ne pouvais pas l’aider, personne ne pouvait vaincre le songe de quelqu’un d’autre. Pas tant que ce dernier n’était pas émancipé, en tout cas. 
Il s’approchait vite d’Henri, poussant une série de grognement rapide et nerveux. On sentait une grande réjouissance dans ses éructations. Il voulait le gosse, il le voulait à tout prix. Ce dernier a repris immédiatement la fuite. Et encore une fois, il a été arrêté. « Isaac, sauve moi ! Il va me faire du mal ! », suppliait le pauvre garçon. Isaac a fermé les yeux tout le tenant fermement, et s'est penché. « Détruis tes peurs », lui a-t-il répondu en le poussant vers la créature. L’enfant s’est écroulé au pied de son songe, qui s'est jeté goulûment sur lui. La chose a dévoré vivant l’adolescent tout en le lardant de coups de couteau. La sauvagerie de la scène était abominable, l’horreur plus qu’inhumaine. Je crois qu’un des soldats s’est évanoui. Les autres ont mis en joue la créature, au cas où elle s'éveillerait. Ce n'est pas ce qui s'est passé. Après avoir englouti la plus infime trace d’Henri, elle a disparu dans l’obscurité. 
Le lendemain, Isaac a organisé un enterrement avec un mannequin habillé des affaires du défunt en guise de corps. L’oraison funèbre s'est résumée à un discours ventant les mérites du courage, de la discipline et de la collectivité afin d’éviter un sort similaire à celui du malheureux. Ce type était vraiment une ordure de la pire espèce. Il érigeait la mort d'un enfant, une mort dont il était responsable, en arme de propagande. Je me suis jurée que j'allais le tuer. 

La même nuit, j'ai vu une ombre se faufiler. Essayant de déjouer la surveillance des sentinelles. Elle est parvenue à s’éclipser hors de l’usine. J'ai regardé le gaillard courir au hasard des ruelles, et rentrer dans un immeuble à des kilomètres de là. C’est sans difficulté que j'ai pu le pister, il n’était pas d’une grande vigilance. Je l’ai observé s’effondrer sur des marches au rez-de-chaussée de la bâtisse. Peu de temps après, il a sombré dans un sommeil profond. Je suis alors rentrée à pas de loup. J’ai éloigné son fusil de lui et vérifié s’il avait d’autres armes. 
Ceci fait, j’ai relevé son chapeau posé sur ses yeux, et braqué ma kalachnikov : 

« Debout, lève toi ! » Il a émergé en panique et mis quelques secondes avant de comprendre sa situation. Il m'a lancé un regard interloqué. 
« T’es qui ? » Il avait l’air confus et légèrement alcoolisé. 
« Une maman très en colère, connard ». À ce moment, je me demandais encore si j’allais le laisser en vie. 
« ... » Il a simplement détourné le regard, il se sentait encore plus coupable qu’apeuré. 
« Pourquoi tu t’es enfui ? Qu’est-ce qui se passe là-bas ? Tu vas tout me dire sur tes amis. ». Mon ton était particulièrement intimidant, et je savais que ce type n’allait pas me résister longtemps. 
« Je ne peux plus supporter ça, ce groupe… Ces méthodes. À quoi bon survivre si c’est pour devenir… Des barbares… Hier, c’était trop… Ce pauvre... » Je pensais qu’il était sincère, mais je me foutais de ses remords. 
« Et tous ces gosses mis en esclavages ? Ça devait être dur de profiter d’eux, aussi ? » J’espérais que ce demeuré saisirait le sarcasme. 
« Le but est de les renforcer, de leur permettre d’affronter leurs peurs ! Tout en assurant la survie de notre communauté ! Ce n'est pas avec de la complaisance que... » Mes reproches semblaient l’avoir choqué au plus profond de lui. 
« Va dire ça à Henri !
Comment tu... ? (j'ai rapproché le canon près de son visage avant qu’il ne puisse finir son interrogation) C’était… De trop. Tu as raison, j’en ai marre des conneries d’Isaac et de cette putain de communauté. T’as peut-être raison, je mérite de mourir. Alors vas-y, j’suis trop fatigué pour lutter » Il s'est levé partiellement, découvrant son visage barbu et usé. Il m'a fixée, les yeux emplis de désespoir.  
« Est-ce qu’une petite fille nommée Mathilde te rappelle quelque chose ? Cheveux courts et bruns, yeux verts, habillés avec un sweat vert et d’un jean, elle va bien ? » J'ai fait preuve d’une incroyable maîtrise de moi-même pour poser cette question sans que mon ton ne trésaille. 
« Oui, elle travaille en cuisine depuis peu.
Vous êtes combien ?
19 gardes et 46 enfants.
Combien de gardes permanents à l’intérieur de l’usine ?
– Deux. 
Les enfants sont ils enchaînés ?
Non, ils sont enfermés dans une pièce la nuit, un mec à la porte. 
Parfait, t’as vraiment des regrets ? » J’espérais pour lui qu’il saurait se montrer convainquant. 
« Hier, j’ai vu Henri se faire bouffer par un démon. Et nous, les adultes qui sommes sensés le protéger, nous sommes restés sans rien faire… Toutes les théories à la con d’Isaac ne changeront rien à ça, nous irons brûler en enfer... Ouais, j’ai des regrets. » Sa voix était chargée, comme si elle supportait un poids trop lourd pour elle. 
« Tu peux te racheter… Partiellement. Aide-moi à sauver les enfants. Aide moi à trouver une manière de les sortir de vos griffes. » Je ne saurais dire pourquoi j’ai accordé si facilement ma confiance. Naïveté, intuition, lassitude ? Aucune importance, en fin de compte… Il  a réfléchi un instant. 
« D’accord, ce sera l’occasion de ma rédemption. Réparer mes pêchés.
Garde ton baratin déculpabilisant pour toi. » Il n'était pas question que j’écoute les complaintes de ce salopard. 
« Je crois savoir comment te faire rentrer sans éveiller les soupçons. Je peux te faire passer pour un zombie. 
Un Rêveur ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » Ils avaient des rêveurs à l’intérieur ? Comment ce faisait-il que je n’en avais jamais vu ?
« Rêveur, le nom est plus poétique...
Bref…
Eh bien, nous en amenons parfois discrètement, des inoffensifs. Isaac exige que les enfants ne les voient pas. Ils sont transportés dans des caisses. C’est pour ça que tu ne les as jamais vus, je suppose » Il mâchait ses mots, comme pour écourter un sujet particulièrement déplaisant. 
« Pourquoi, qu’est ce que vous en faites ? » Je connaissais la réponse, au fond de moi, mais j'ai été ingénue sur le moment. 
« Les hommes et les femmes ont parfois des besoins, et tous ne veulent pas les assouvir entre eux... » Il devenait rouge de honte et bafouillait ses phrases. 
« Stop, ça suffit ! Donc, tu veux me faire passer dans une caisse comme Rêveuse ?
Non, je fais croire aux vigiles que je t’ai fait sortir afin de… Tu vois. Et que je te ramène à l’intérieur. Il y en a tellement que personne ne se posera de questions. C’est le moyen le plus rapide et sûr ». Il n’était pas à l’aise du tout, et l’idée de côtoyer un nécrophile ne me mettait pas à l’aise non plus. Me débectait pour être exacte. 
« Très bien, faisons cela. » Il s'est levé et a remis son chapeau à la fin de ma phrase. 
« Je m’appelle David au fait, et toi ?
La ferme et avance. » Ce type me répugnait. 

Nous sommes arrivés non loin du parvis de l’usine. Je me suis stoppée. 
« Une fois rentrée, tu me rejoindras rapidement. Et tu suivras mes instructions pour nous débarrasser de tes anciens camarades ». 
Non, je ne tuerai aucun d’entre eux. Et je refuse de t’aider à le faire. » Je me suis retournée vers lui, le fusil pointé sur son ventre. 
« Tu peux me trouer, mais tu n’auras jamais de meilleure occasion de sauver les enfants. » Il avait peur, cela se voyait, mais il a fait face avec un certain courage. J'ai pesé le pour et le contre. J’en suis arrivée à la conclusion que ma vengeance n’était pas la priorité. 
« D’accord, mais je veux Isaac.
Je me moque du sort de cet enfoiré. Les autres, je vais leur apporter du café avec du somnifère. Ne t’en fais pas, tu n’auras pas de problème pour sortir. Il y a cinq personnes de garde, huit qui dorment et le reste en collecte. Je m’occupe de tout ce beau monde. Par contre, il va falloir que tu retires tes vêtements. Aucun des Rêveurs n’en a... » C’était dangereux, les Rêveurs ne sentaient pas le froid, mais moi oui. Si j’avais ne serait-ce qu’un frisson, je risquais d’être démasquée. 

Je me suis exécutée et David m'a donné un masque. Il fallait croire que nous avions un point commun, eux et moi. La nuit était glaciale et je peinais à marcher. Je ne sentais déjà plus mes doigts. Nous nous sommes avancés devant l’entrée, essayant tout de même de rentrer subrepticement. Hélas, un « HALTE » nous a figés tous les deux. Une femme est descendue de son mirador et venue vers nous. Je suis restée droite comme un piquet, me concentrant sur tout sauf le vent gelé qui chatouillait mon dos. 
« Salut, David. Qu’est-ce que tu fous avec ce zombie ? 
Salut Cathy, eh bien, j’avais envie de me détendre loin de la maison ». 
Je sentais mon nez couler. Dépassant ma bouche et roulant sur mon menton. Mes poils hérissés sur tout le corps. 
« Tu aurais dû me prévenir, t’imagines, tu serais tombé sur Isaac ou un des lèches-cul… Tu aurais été corvée de récolte pendant trois mois ». 
Je tenais difficilement, j’avais l’impression que mes membres s’enflammaient, que des engelures poussaient sur chaque recoin de ma peau. Je n’en pouvais plus. Je n’allais pas tenir. 
« En parlant de ça… Je vais vite la renvoyer à la réserve avant de me faire choper ». 
C’était terminé, je ne pouvais plus me retenir, les insupportables picotements allaient avoir raison de moi. Puis il m'a pris par la main en vitesse sans attendre la réponse de son amie. 
« Dépêche-toi ! »

Nous sommes entrés dans l’usine. C’était rempli de vivre, de provisions, de divers nécessaires de survie… Il y avait une telle abondance… Je n'ai pas pu m’empêcher d’être admirative devant cette richesse. Devant les trois camions à grande contenance, le bus, les dizaines de caisses de provisions… J'ai pris une grande inspiration, reprenant ainsi ma concentration. Nous sommes passés devant deux gardes en train de jouer aux fléchettes qui ont fait un sourire complice à leur compagnon. Nous sommes ensuite montés à l’étage pour atteindre une pièce sombre. Il m'a dit d’attendre qu’il s’occupe des deux gars du bas avant de sortir. 
L’attente a duré près d’une heure, pendant ce temps, j'ai saisi une lampe et vu l’endroit. Un immense débarras reconverti en harem. Quelques canapés et lits poussiéreux, mais surtout une cinquantaine de Rêveurs masqués et nus, des deux sexes et de tous âges… J’ai vite éteint la lumière en espérant que David ne traîne pas. Lorsqu’il a rouvert la porte, il m'a fait signe de descendre. 
« Je vais dégager la sortie, tu peux aller prendre les enfants. » Il m'a lancé un set de clefs. 
« Non, d’abord Isaac. Je m’occupe de lui en premier.
Très bien. Ses quartiers sont à l’étage du dessus. Il l’a insonorisé, alors personne n’entendra les coups de feu. Bonne chance. » Je lui ai répondu par un léger signe de tête. 

J'ai récupéré armes et vêtements sur les corps inconscients et dans une des caisses. Puis gravi les marches, plus déterminée que jamais à en finir. Je suis arrivée devant la dernière porte du dernier étage. J’ai tourné la poignée et pénétré dans la grande pièce. Isaac était là, assis derrière une table à manger, accompagné d’un jeune homme, un autre Rêveur. Tout l’endroit était aménagé comme un petit appartement. Il y avait plusieurs pièces, dont deux chambres, une salle de bain, un salon… L’homme a relevé la tête, ne masquant pas sa surprise. De près, il perdait beaucoup de son charisme. Ce n’était qu’un bonhomme dégarni et ridé à la quarantaine vieillissante. J'ai fermé la porte du pied, tout en gardant l’arme pointée sur lui, prête à tirer.  
« Qui êtes-vous ? » Il a posé sa serviette sur la table. « Quelqu’un qui ne m’approuve pas, vraisemblablement. » Il soutenait mon regard, sans ciller. 
« Pas vraiment, non, tu as enlevé mes protégés, ma fille ! Pour les réduire en esclavage ! » Il allait devoir répondre de ses actes. 
« Tous les enfants que nous avons recueillis étaient sous-nourris, certains aux portes de l’adolescence et ce que cela suggère… Nous leur apprenons à être forts devant leurs peurs, à résister… Nous leur offrons une vie meilleure, des chances de survie. » Il se foutait de moi ? Comment pouvait-il affirmer de telles choses ? 
« Et Henri ? Il a eu de meilleures chances de survie ? Bouffé par son songe après avoir trimé pour toi !
Je n’ai pas le pouvoir de les sauver, simplement de mieux les armer. La réussite n’est pas assurée, mais mon éducation offre de plus grandes garanties qu’une autre, complaisante, n’apportant presque aucune chance de résister à ces… Choses ». Il a regardé brièvement le Rêveur à côté de lui, j'ai vu une étincelle de tristesses défigurer son faciès.  
« C’est comme cela que tu justifies tes pratiques dégueulasses, ton esclavage immonde… » Bordel, il croyait vraiment à ce qu’il racontait ? 
« Ils travaillent pour la survie de tous. Cela permettra de pérenniser nos denrées, donc assurer notre futur. La brutalité et la discipline renforcent leur esprit et leurs corps, au vu de ce qu’ils vont devoir affronter. Tous les survivants de Paris l’étaient déjà avant la chute. Et mes protégés le seront également. C’est notre travail comme adultes que de préparer du mieux possible les enfants à leur avenir. Aussi immonde soit-il ». 
Tu es un grand malade, et je vais te tuer. » Ma voix était calme, tranchante. 
Je le crains. M’offririez-vous une dernière volonté, je vous prie ? » J’ai effectué un geste à l’aide du canon de mon fusil pour communiquer mon approbation. Il m'a remerciée en joignant ses mains et en baissant la tête. Il a relevé le Rêveur et l'a couché dans la chambre à côté. 
« Je dois y aller, mon grand. Sache que j’ai toujours été très fier de toi. » Il l’embrassé sur le front. « Je t’aime, mon fils. »
Isaac a fermé avec précaution la porte et s'est placé devant moi, mon canon droit sur lui. 
« Je ne souhaite pas qu’il assiste à ma mort. Je crois qu’il ne pourrait pas l’accepter. Ce garçon est sensible, vous savez. »
Je n'ai pas répondu, une boule dans la gorge. 
« Je confesse que j’ai peur, très peur. J’ai peur qu’il n’y ait qu’un grand néant, personne pour m’attendre de l’autre côté. Pensez-vous que mes proches m’attendent ? Prêts à me hurler « Bienvenue » ? » Quelques larmes roulaient sur ses joues creusées. « Prenez soin des enfants, inconnue, ils sont tout ce pourquoi j’ai survécu. »

J’ai fait feu. Isaac s’est effondré sur le sol. Bizarrement, je n’ai eu aucun sentiment de satisfaction, aucun soulagement. Un sentiment de vide m’a envahie. Je me suis ressaisie, mais je ne sais pas combien de temps cela m'a pris, pour enfin redescendre les marches afin de rejoindre David. Il avait déjà commencé à regrouper les enfants dans un bus. Il m'a fait un signe du bras, et je l’ai aidé à faire rentrer tout le monde le plus silencieusement possible. Mon allié m’a expliqué que l’important était de faire vite, qu’il avait injecté à ses compagnons endormis du somnifère, mais que l’on devait sortir avant le retour de l’équipe de récup’. Convaincre les enfants a été plus difficile que prévu, mais David a persuadé les réticents en leur expliquant que c’était une excursion prévue. Heureusement que les enfants étaient un peu idiots. Surtout que je n’avais pas été d’une grande aide, car je serrais ma Mathilde fort. Une fois tout le monde à bord, nous avons foncés hors de cet enfer. Une fois garés à des lieux de l’endroit, David est venu me voir.  

« Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? »
On sort les gamins de Paris, ce qu’on aurait dû faire il y a longtemps »
Ouais, t’as raison. » 
Il a repris le volant et roulé puis, en plein milieu de la route, s’est arrêté. 
« Je ne peux pas aller plus loin. Je n’y arrive pas... ». Il avait l’air désolé dans son timbre. Pourtant, il n’avait aucune raison de l’être. Le soleil commençait à se lever, l’atmosphère, à se réchauffer. En suivant la route, les enfants tomberaient bien sur quelqu’un. Ils pourraient grandir dans un environnement bien plus sain qu’ici. 
Nous avons fait sortir tous les enfants et David a commencé à leur faire un discours sur la marche à suivre sans lui. Pendant ce temps, je me suis accroupie devant ma fille. 
« Tu vas devoir continuer sans moi, mon cœur. 
Pourquoi tu ne peux pas venir, je ne veux pas partir sans toi ! » Ses yeux se gonflaient et s’humidifiaient. 
Je ne peux pas faire autrement. J’aimerais, mais je ne peux pas. Toi, tu dois partir et vivre une belle vie.
Pourquoi ? » Elle pleurait à chaudes larmes. 
« Par ce que c’est pour ça que je t’ai mis au monde. Pour que tu sois heureuse. » J’essayais de ne pas pleurer également. 
« Mais, je suis heureuse avec toi maman. » Elle s'accrochait vigoureusement à ma chemise. 
« Non, tu ne le seras pas. Je ne peux pas te protéger, ni t’offrir quoi que ce soit de bon ici. Tu seras triste un temps, mais ça passera car tu es forte. » Je l'ai serrée dans mes bras, nous pleurions toutes les deux. « Promets-moi d’être heureuse »
« Je te le promets, maman. » Nous avons eu du mal à prononcer ces simples mots. 

Le discours était terminé et nos adieux également. J’ai embrassé tous mes protégés en leur souhaitant bonne chance, puis les ai regardés s’éloigner. Mathilde s'est retournée plusieurs fois pour me faire des signes de la main. Jusqu’à ce qu’elle quitte mon champ de vision. 
Je suis restée plusieurs heures, à contempler l’horizon, certaine que la vie serait clémente envers ma fille. Puis David et moi nous sommes quittés. Je ne sais pas ce qu’il est devenu, je ne l’ai jamais revu. Quant à moi, mon objectif serait à présent de vivre au sein de cette ville morte en essayant de sortir un maximum d’enfants de là.

Texte de Wasite